Isabelle Régnier et l'odyssée de la couleur. Medole de Mantoue – Torre Civica. Septembre 2012.
À l'occasion des Journées Européennes du Patrimoine 2012, Italie, Trésor d'Europe.
Fabrizio Migliorati est commissaire d’exposition et journaliste, il travaille en collaboration avec la Biennale de Lyon, la revue culturelle online teatro.persinsala.it, et avec plusieurs musées en Italie.
C’est un lien intime qu’Isabelle Régnier a noué avec l’Italie. Un lien constitué de points isolés, de transitions telluriques, de surfaces sous lesquelles les couleurs coulent et viennent à la lumière – et se font elles-mêmes lumière – dès qu’elles rencontrent une possibilité de fuite.
Il s’agit d’un amour concrétisé en lieux de quelques centaines de mètres, où la pierre et la terre s’organisent dans des structures complexes et dangereuses, où la vie insiste cependant et, peut-être, grâce aux forces qui en font la fascination.
Cependant la chaleur de ces paysages n’est pas due au soleil méditerranéen. Ce qui chauffe ces lieux et avec eux ces images, est bien le sous-sol inquiet partisan d’événements dramatiques : voici le secret analogique que les travaux d’Isabelle portent en eux.
Poétique qui se situe exactement à la rencontre entre la verticalité magmatique et le flux imperturbable des surfaces.
L’artiste française déclare être une artiste ponctuelle, mais pas dans le sens courant d’une adhésion à un temps préétabli. La ponctualité est une modalité piquante, qui pince l’événement, en lui donnant une forme dentelée, accidentée. La rencontre des lignes perpendiculaires est voulue, cherchée et située exactement dans le point apte à l’accueillir, comme si l’évènement avait toujours été là, comme s’il était déjà inscrit avant son arrivée.
Et voici que l’image légère, presque suggérée, quitte l’indistinct pour pincer la réalité. Chaque papier livre ainsi à notre réalité un simple point, rencontre et résultat de lignes temporelles, spatiales, psychologiques.
Nous rencontrons Alicudi, où les rochers se plient et s’érigent jusqu’à devenir des concrétisations de monstres archaïques ; Stromboli où le volcan, peint comme s’il était le mont Fuji, devient anthropomorphe et pensif, plein de silence oriental, surveillé à peu de distance par le neck de Strombolicchio où une figure de proue en forme de tête de cheval regarde l’horizon.
Le thème de Stromboli est repris aussi dans les travaux de 2012 qui, avec ceux de Vulcano en 2011, quittent le détail pour une matière synthétique et puissante, concentrée dans d’insondables blocs centraux. Il apparaît ici l’impossibilité de décrire un volcan, approché dangereusement mais sur le point d’être définitivement perdu.
Filicudi et Salina représentent presque une pause, une suspension reposante et romantique au milieu de ce voyage de l’œil saisissant d’incroyables forces.
Les œuvres représentant Lipari nous parlent de l’extraction minérale, approfondissement de la rencontre entre horizontalité et verticalité, où l’homme intervient en utilisant un produit du volcan.
Quittant la Sicile et se déplaçant dans l’archipel napolitain, nous rencontrons une île à l’atmosphère fraîche et bleutée, Ischia, où nous avons perdu la composante humaine de la vision de Friedrich, et Procida où les rochers de Ciracciello se placent de façon imposante, frisés par le sable qui entre vraiment dans le tableau.
Enfin Pompéi, divisé en regiones et insulæ, représenté par ses domus avec des flashs sombres, qui laissent le chaos dramatique sur le seuil et qui nous accompagnent dans les couloirs de l’histoire.
En passant en revue toutes ces œuvres, nous remarquons leur point commun : elles représentent des îles, petites langues de terre ancrées au milieu de l’eau, simulacres de rêves solipsistes ou de cauchemars de solitude.
Si le choix des sujets s’est porté sur les Éoliennes et sur les Phlégréennes (et sur Pompéi, la plus « île » parmi toutes, morceau de civilisation écoulée et remontée à la surface), c’est parce que l’artiste ressent une nécessité de la propre vis immaginativa (intuition ou force imaginative). Ces lieux sont tout à fait des îles comme les sujets qui apparaissent sur les papiers et qui ont la nécessité de se faire île : en se plaçant au-dessus du niveau de la mer et du papier, transperçant la surface et advenant enfin à la vision.
En d’autres termes, ces émergences sont des instants d’épiphanie qui évoquent le souterrain et le linéaire. Une philosophie des singularités qui se surprend à être aussi celle d’une communauté d’entités qui demeurent ensemble, qui forment des lignes, des arcs (comme celui éolien ou celui du golfe de Naples) et qui possèdent une orientation. Peut-être, celle d’une odyssée qui aurait pour mot d’ordre le sentiment de la couleur.
Fabrizio Migliorati